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18 septembre 2008

[Choses Vues] Une histoire de lapin

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"Il y a quelques années, je rendis visite à une amie avec un nouveau CD, afin de partager avec elle le plaisir de l’écouter. Je me perchai sur une chaise en bois dans son salon en évitant scrupuleusement tout contact avec le chat vautré sur le canapé beaucoup plus confortable.

  Après avoir écouté la musique pendant un moment, je remarquai, du coin de l’œil, un deuxième chat qui descendait en douce l’escalier. Je fis une réflexion légèrement désapprobatrice, du genre auquel on peut s’attendre de la part de quelqu’un qui souffre d’allergie.

  "Mais ce n’est pas un chat, me reprit mon amie. C’est le lapin de ma fille."

  Me souvenant d’une chose que j’avais entendue un jour, je lui demandai :
  "Est-ce que les lapins n’ont pas tendance, si on les laisse se balader sans surveillance dans la maison, à ronger les fils électriques — et alors… ?
  – Oui, dit-elle, il faut les avoir à l’œil."

  C’est alors que j’y suis allé de ma petite blague : je lui dis que si elle se retrouvait un jour avec un lapin électrocuté, elle devait aussitôt m’appeler, et que je viendrais le chercher et l’emporterais chez moi où je le ferais cuire pour le dîner. Ça nous fit bien rire.

  Le lapin s’éloigna. Peu après, mon amie sortit de la pièce pour aller chercher un crayon. Quelques instants plus tard, elle réapparaissait avec une mine atterrée. Je lui demandai ce qui n’allait pas, et elle m’expliqua que le lapin venait de mordre dans le fil d’une lampe et s’était électrocuté — exactement comme je l’avais décrit. Elle était arrivée sur place juste à temps pour le voir mourir dans une ruade. Je me précipitai dans la pièce voisine pour constater les faits par moi-même. L’animal gisait là, inerte, ses deux dents de devant encore enfoncées dans le cordon brun. A des intervalles de quelques secondes, un minuscule arc électrique les joignait.

  Nous nous regardions, mon amie et moi, avec un certain désarroi. Nous ne savions pas trop si la situation nous paraissait amusante ou déprimante. Enfin, comme il fallait faire quelque chose, je détachai du fil, d’un coup de balai, le lapin qui cuisait lentement.

  Pendant un moment encore, nous restâmes là, bouche bée, devant le cadavre. Et puis mon amie prit la parole. Quelque chose venait de lui apparaître :
  "Est-ce que tu te rends compte, me demanda-t-elle, que tu aurais pu obtenir n’importe quoi ?
  – Que veux-tu dire ?
  – Quand tu parlais d’emporter le lapin chez toi et de le faire cuire pour le dîner, dit-elle, quand tu as suggéré cette possibilité. Tu aurais aussi bien pu évoquer un million de dollars, ou tout ce dont tu avais envie. Et c’est ça que tu aurais eu. C’était ce genre d’instant, un de ces instants où n’importe quel souhait aurait été réalisé."

  Il n’a jamais fait le moindre doute dans mon esprit qu’elle avait tout à fait raison.

  Barry Foy
Seattle, Washington

extrait du recueil "Je pensais que mon père était Dieu", composé par Paul Auster

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